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Si l’histoire un brin naïve de La Sonnambula s’apparente davantage à un aimable conte au ton léger, ses mélodies au côté mélancolique sont d’une virtuosité intense, d’une légèreté songeuse qui enveloppent et transportent. Placé par Stravinsky au rang de leader mondial incontesté de la mélodie, Bellini séduit, subjugue, ravit, fascine et parvient avec son huitième opéra à susciter des moments quasi hypnotiques entre le public, la musique et les voix.

Bellini et Carcano

Vincenzo Bellini (1801-1835) par Giuseppe Tivoli

 

Bellini n’est pas uniquement l’auteur de mélodies immortelles. Héritier de la glorieuse école napolitaine, il débute sa carrière à l’époque où Rossini règne sans partage. Mais, « le doux sicilien », comme le surnommera Wagner, veut s’affranchir de cet héritage et devenir le plus grand compositeur de sa génération. Alors que Bellini, qui vient de rencontrer le succès avec I Capuleti e i Montecchi à Venise en 1830, est sur le point d’entamer La Sonnambula, une sollicitation inattendue survient de Milan.

Le tout récent Teatro Carcano veut supplanter sa rivale La « grande » Scala. Il s’en donne les moyens, puisqu’il décide pour lancer sa saison, de commander deux nouveaux opéras à deux jeunes compositeurs italiens des plus prometteurs, Donizetti et Bellini, et d’engager une équipe d’artistes de renom, Giuditta Pasta, Giovanni Battista Rubini et Filippo Galli.

Si dans un premier temps le choix de Bellini et de son librettiste Romani se porte sur Ernani, inspiré du drame éponyme d’Hugo, le compositeur s’en détourne rapidement d’une part, pour éviter d’éventuelles complications avec la censure, et d’autre part, très certainement, pour se démarquer de thèmes chers à son collègue Donizetti qui vient de connaître un succès retentissant avec son Anna Bolena.

Début 1831, Bellini arrête son choix sur un sujet tiré d’un ballet présenté trois ans auparavant à l’Opéra de Paris : La Somnambule dont le synopsis est écrit par un certain Scribe. Nous l’avons compris, le thème central de l’œuvre tournera autour du somnambulisme, thème en vogue auprès des auteurs romantiques, tout comme la folie et ses nombreuses représentations dans les opéras italiens de l’époque.

C’est la folie à l’opéra… et ce n’est pas peu dire ! Exprimée sous différentes formes, au travers de différentes sonorités et chez nombre de compositeurs, la folie s’est invitée dans :  La Finta Giardiniera, Idomeneo (Mozart), Orlando Furioso (Vivaldi, Haendel), Il Pirata, I Puritani (Bellini), Lucia di Lammermoor (Donizetti), Hamlet (Ambroise Thomas), Dinorah (Meyerbeer), Peter Grimes (Britten), Don Quichotte (Massenet), Tristan und Isolde (Wagner), Macbeth (Verdi)… et bien d’autres encore.

Délires ou réalités?

On pourrait presque dire que c’est une histoire à dormir debout… Vu de l’extérieur, le somnambulisme semble plutôt proche de l’état hypnotique. C’est souvent d’ailleurs de cet extérieur, des spectateurs-témoins de la scène, que les récits, les effrois et les émerveillements parviennent. Le somnambule quant à lui se retrouve étrangement mêlé à une scène dont il n’a pas conscience. On pourrait même dire qu’il est parfaitement innocent, alors que l’entourage focalise son attention sur lui et s’essaie à des explications guidées par la lucidité, posant un diagnostic erroné, ou tente même parfois d’intervenir et de réveiller le « dormeur ». Par son attitude, l’entourage serait plutôt un élément perturbateur, voire même parfois nocif.

Dès la fin du XVIIe siècle, le somnambulisme suscite une véritable fascination. Teinté de mystère, il est une véritable source pour l’imagination dramaturgique. Ainsi, les auteurs usent des réactions des témoins du somnambulisme comme substrat de la tension dramatique. Tout comme dans l’opéra de Bellini, où le compositeur accentue davantage cet effet puisque Amina, figure même de pureté et d’innocence, se verra persécutée injustement par son entourage.

C’est en 1688 qu’est apparu pour la première fois le mot « somnambule ». C’était dans Nouvelles de la république des lettres, numéro d’octobre, alors que depuis toujours, très certainement, des hommes et des femmes avaient marché ou parlé pendant leur sommeil. Petit à petit, la compréhension de ces comportements permet de les saisir davantage et de balayer les visions erronées que l’on en avait : don mystérieux, possessions divines, diaboliques… Et, c’est en 1739 que le thème du somnambulisme apparaît sur la scène parisienne dans une comédie en un acte, Le Somnambule, qui sera joué à la Comédie-Française, dès le 19 janvier.

 

Ce qu’ils en disent

Jaco Van Dormael, mise en scène

La Sonnambula nous fera entrer dans un monde flottant. Est-ce seulement la somnambule qui traverse le ciel sur un fil dans son sommeil ou bien tout le monde est-il en train de rêver ? La mise en scène, mariée à la chorégraphie de Michèle Anne De Mey, évoquera des sensations plus que des situations : l’apesanteur, l’absence de verticalité, le flottement. Les personnages seront doués d’ubiquité, chacun étant interprété simultanément par un chanteur et un danseur. Les caméras dans les cintres renverseront la gravité, transformant les danseurs couchés sur le sol en silhouettes flottantes dans les décors, dans un monde en constantes transformations.

 

Au service de la mélodie

Le style de Bellini se caractérise par un dévouement à la mélodie, qu’il maîtrise à un point tel que Stravinsky le place au rang de « leader mondial incontestable de la mélodie ». Bellini accorde, en effet, la primauté au chant et plus particulièrement au bel canto. Le bel canto ne se montre pas ici sous l’aspect d’ornementation inutile, qu’il peut avoir parfois chez d’autres compositeurs, mais sert admirablement la liaison entre la mélodie et le mot. Et Wagner d’ajouter que : « Bellini est l’un de mes compositeurs préférés car sa musique témoigne d’une inspiration forte, et elle est toujours intimement liée aux paroles. ». En effet, Bellini donne au chant une place centrale dans l’expression de l’âme et ouvre de nouvelles perspectives d’expressivité, de prosodie ou encore de technique vocale.

La Sonnambula présente des caractéristiques stylistiques propres à son compositeur telles que l’usage d’harmonies simples, l’accompagnement de l’orchestre, comme son usage typique du triolet, et les élans mélancoliques du chant. Bellini y propose une nouvelle forme d’expression à mi-chemin entre l’arioso et le récitatif.  La part prépondérante dévolue au Chœur revêt également une nouvelle forme. Agent de couleur et pilier structurel, il constitue presqu’un personnage à part entière.

Avec La Sonnambula, Bellini signe une musique de l’âme. Rien n’est plus important pour le compositeur que l’âme. Lorsqu’on lui affirme qu’il y avait de l’âme dans La Sonnambula, il répond tout ému : « De l’âme ! C’est que je veux… De l’âme ! …. Merci ! C’est que l’âme c’est toute la musique ! ». C’est d’ailleurs grâce à Amina, son personnage féminin central, que Bellini explore cette thématique. Amina ou Anima ? Le doute plane, connaissant le souci des mots du compositeur.

La Sonnambula figure comme l’une des plus belles partitions de tout le répertoire italien. L’aria « Ah ! Non credea » est la figure emblématique du bel canto. Extraits de cet air, ce sont ces mots « Ah, je ne croyais pas te voir si tôt morte, ô fleur chérie » qui sont gravés, en guise d’épitaphe, sur la tombe de ce jeune compositeur disparu trop tôt.

 

Bellini, La Sonnambula – Act 1/Sc. 1: Prendi, l’anel ti dono (Elvino, Amina, Coro)

 

Bellini, La Sonnambula – Act 1/Sc. 1: Vi ravviso, o luoghi ameni (Rodolfo)

 

Bellini: La Sonnambula – Act 2/Sc. 1: Qui la selva è più folta ed ombrosa (Chœur)

 

Bellini: La Sonnambula – Act 2/Sc. 2: Ah! Non Credea Mirarti (Amina)