En cette période, prenons soin les uns des autres : gardons le contact et restons curieux ! Si les salles sont fermées, c’est autrement que nous vous proposons de découvrir ce chef-d’œuvre méconnu signé Verdi.
Tout le monde se souvient, entre autres, de Nabucco, de La Traviata … ou encore de Rigoletto. Toutes ces œuvres de Verdi ont marqué leur époque et continuent de faire battre les cœurs. Et puis, il y a les Verdi méconnus, rares, oubliés parce que, peut-être, au travers d’une production foisonnante, noyés au cœur de ces succès, ils ne sont pas parvenus à tirer leur épingle du jeu. Toutefois, le génie du compositeur y réside indéniablement. Focus sur Alzira !
À l’origine : Voltaire … et la nature humaine
Alzira de Verdi est inspiré de la tragédie Alzire, ou les Américains de Voltaire. Avec cette tragédie, Voltaire recherche la nouveauté, l’originalité et se tourne vers le Nouveau Monde pour y situer l’action. Il écrit d’ailleurs au début du Discours préliminaire qui accompagne sa pièce :
« On a tâché dans cette tragédie, toute d’invention et d’une espèce assez neuve, de faire voir combien le véritable esprit de religion l’emporte sur les vertus de la nature »*.
La tragédie Alzire positionne Voltaire sur le sujet de la différence culturelle et religieuse. Comme dans la plupart de ses écrits, Voltaire y laisse transparaître son désir d’humanité et de justice parmi les hommes. Son œuvre sera porteuse d’une idéologie philosophique marquante. D’Alzire, il en dira même :
« Vous pourriez faire présenter l’ouvrage à l’examen secrètement et sans qu’on me soupçonnât. Je consens qu’on me devine à la première représentation : je serais même fâché que les connaisseurs s’y pussent méprendre ; mais je ne veux pas que les curieux sachent le secret avant le temps, et que les cabales, toujours prêtes à accabler un pauvre homme, aient le temps de se former. De plus, il y a des choses dans la pièce qui passeraient pour des sentiments très religieux dans un autre, mais qui, chez moi, seraient impies, grâce à la justice qu’on a coutume de me rendre. »
Voltaire est fier de cette œuvre et le public le lui rend bien. Dès sa première représentation le 27 janvier 1736, Alzire, ou les Américains remporte un vif succès auprès des spectateurs et de la critique.
* Voltaire : Alzire, ou les Américains, Tragédie, 1736. Dans Œuvres Complètes de Voltaire, Théâtre, tome III, Paris, Chez E.A. Lequien, libraire, 1821, Discours Préliminaires, p. 439.
Naissance d’une œuvre au cœur d’un contexte aussi difficile que passionnant
Dans la trentaine, Verdi semble déjà bien installé. Submergé par le travail, il compose à un rythme effréné : quatre ouvrages en seulement 18 mois ! C’est ce qu’il appellera « ses années de galère ». Mais cela ne l’arrête pas. Après avoir séduit Venise, Milan et Rome, le compositeur part à la conquête d’un autre grand Théâtre.
Après le succès d’Ernani à Venise, c’est le Teatro di San Carlo de Naples qui lui fait les yeux doux et lui commande deux compositions, Alzira et Luisa Miller. Il travaillera à cette occasion pour la première fois avec l’homme de théâtre, dramaturge et poète Salvatore Cammarano.
Librettiste attitré du San Carlo et favori de Donizetti, Cammarano est lui aussi célèbre. Il est reconnu notamment pour sa prose flamboyante et n’est pas aussi influençable que ceux avec qui Verdi a l’habitude de travailler. Le compositeur se voit donc obligé de se plier au choix dramaturgique de son librettiste dont la version se concentre sur le triangle amoureux, laissant de côté la portée philosophique et engagée de la tragédie de Voltaire.
Si l’écriture d’Alzira prend un peu plus de temps qu’à l’accoutumée, c’est parce que Verdi tombe malade et que l’interprète, choisie par ses soins pour le rôle principal, est enceinte. Mais malgré tout, un an plus tard, le 12 août 1845, le compositeur présente l’œuvre.
Une musique sans fard
Alzira a souvent été jugé avec distance, voire décrié par certains au regard d’une forme de simplicité basique en partie due au livret. Toutefois, la composition de Verdi reste un travail minutieux comme en témoignent, entre autres, l’ouverture, les chœurs envolés ou encore le lyrisme radieux d’Alzira dans « Quando in sen d’un ombra erante » qui ouvre la deuxième scène du premier acte.
Divisée en deux parties, l’ouverture d’Alzira pourrait apparaître comme la plus atypique née de la plume du compositeur. Sa première partie résonne telle un scherzo mendelssohnien et n’est pas sans rappeler l’esprit des Feux follets de Berlioz. Quant à la seconde, plus martiale, elle fait écho à sa Giovanna d’Arco, composée six mois plus tôt.
Écrite d’une traite, cette partition fait preuve d’inventivité et d’une imprévisibilité harmonique, structurelle et dramatique. Le peu de correction dont elle a fait l’objet apporte une touche de fraîcheur et de spontanéité à sa composition dont les qualités musicales sont présentes sous une forme d’autant plus pure.
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