Spectacle

Focus sur "Hamlet" d'Ambroise Thomas

« Ambroise Thomas est l’un de nos compositeurs les plus distingués. J’éprouve un très grand plaisir à entendre cette musique vive, alerte, piquante, toujours distinguée, toujours bien en scène, instrumentée de main de maître, avec éclat, mais sans excès, avec variété, mais sans recherche, écrite partout avec goût et savoir. »
Hector Berlioz dans le Journal des débuts, 18 juillet 1846

 

Du théâtre anglais à l’opéra français

Quand Shakespeare écrit pour Hamlet « Être ou ne pas être, telle est la question », il est loin de se douter qu’un compositeur d’opéra adaptera son œuvre deux siècles plus tard. Au XIXe siècle, Ambroise Thomas signe avec Hamlet un incontournable du répertoire français. Même si la version de ses librettistes Barbier et Carré paraît s’éloigner du texte original, la fièvre passionnée shakespearienne demeure.

Un des changements les plus marquants effectué par Barbier et Carré se porte sur le dénouement : le Hamlet français ne meurt pas mais devient roi ! La différence est de taille, mais n’est pas la seule. Les deux librettistes prennent d’autres libertés pour rendre l’histoire plus « française » :

  • moins de meurtres ;
  • plus de place au couple Hamlet et Ophélie et à leur histoire d’amour ;
  • la folie d’Ophélie est davantage présente, un acte entier lui est consacré ;
  • la mort d’Ophélie est plus marquée, alors qu’elle n’est qu’esquissée dans la pièce ;
  • le héros reste en vie ;
  • un final en forme de semi « happy-end » ;
  • bien moins de questions existentielles et d’ambiguïtés…

Hamlet, opéra en 5 actes, d’Ambroise Thomas triomphe le 9 mars 1868 à l’Opéra de Paris (Salle Le Peletier). Lorsqu’en 1869, le compositeur présente son opéra au Covent Garden de Londres, il l’a quelque peu remanié pour éviter de choquer les spectateurs anglais, attachés à l’œuvre de leur compatriote. Cette nouvelle mouture, traduite en italien pour l’occasion, se termine comme la tragédie shakespearienne : Hamlet meurt après avoir tué Claudius et sans avoir revu le Spectre.

Toute la puissance musicale

La tragédie ayant perdu un peu de son intensité, c’est là que le talent de Thomas opère : il réussit à inventer une musique qui corrige les quelques faiblesses du livret, par sa construction, sa composition et son emploi. Le sombre, le dramatique s’expriment en musique.

Par exemple, avec les cordes, Thomas souligne le pathétique d’une situation ou installe encore des ambiances. Il confie aussi, à de nombreuses reprises, un rôle soliste aux instruments, comme avec la flûte, relayée parfois par la clarinette et le hautbois, lorsqu’elle accompagne Ophélie, se superposant à ses récits, ou lorsqu’elle la rejoint, dialoguant avec elle dans sa folie.

Parfois pointé pour son académisme et un côté légèrement convenu, Thomas est curieux et peut être audacieux. Il signe dans Hamlet, le premier grand solo de saxophone du répertoire lyrique. Atypique ! La partition expose également un redoutable solo de trombone, sans doute un des plus importants jamais composés pour cet instrument à l’opéra.

Son art orchestral ainsi que sa parfaite maîtrise de l’écriture vocale sont à l’origine de sublimes pages musicales comme celle du duo d’amour entre Hamlet et Ophélie, ou encore l’arioso de Gertrude…

Quant au rôle d’Hamlet, c’est l’une des plus belles partitions pour baryton du répertoire français. D’ailleurs, Thomas déroge à certains codes en confiant le rôle principal masculin à une voix grave, dont la tessiture assombrit la partition que seule la voix d’Ophélie éclairera. Les ténors de la partition ont, quant à eux, des rôles davantage secondaires.